S’il est une image que l’on retient de Bezaudin, c’est celle de la tradition et de la culture du monde rural.
Ce quartier de 600 hectares, divisé en petites propriétés est situé dans les hauteurs de Sainte Marie à 250 mètres d’altitude et à 9 km de la mer. Il se trouve au nord de la rivière Romanette et la rivière du Lorrain, au sud de la rivière du quartier Pérou, à l’est des quartiers Eudorçait et Fourniols.
On y trouve de nombreux sous quartiers : Blampuy, Rivière Blanche, Macroix, Rivière Romanet, Fonds Banane, Morne Théodore, Thébault, Cannelle, Mazière « La ri dèyè », Trois Ilets, Fonds Verville.
Les nombreuses sources qui alimentaient la région, portaient des noms comme : source Man Prine, Source Cité (la plus fréquentée), l’Aroman, Source Dumanoir… Le transport de l’eau s’effectuait souvent dans une calebasse ou le nœud d’un bambou qui pouvait contenir jusqu’à 12 litres d’eau. La source était un lieu de vie où les discussions allaient bon train. Les enfants s’y amusaient, les jeunes flirtaient, les plus grands prenaient des « milans ».
Bezaudin est une ancienne habitation qui tire son nom du comte Louis de BEZAUDIN. On peut se demander si c’était un vrai comte ? Cet homme était commissaire civil de la paroisse de Trinité ; il est le parrain de la cloche qui a été installée à l’église de Trinité en 1809. IL a fait l’acquisition d’une propriété qui est devenue la propriété Bezaudin par ordonnance royale. Louis de Bezaudin cultivait sur ses terres du tabac, du cacao et de la canne à sucre. Après l’insurrection de 1848, la propriété déclina et fut partagée entre les anciens esclaves et les nègres marrons qui vivaient dans le quartier.
Le quartier Bezaudin a connu une intense activité agricole et artisanale. Bezaudin est la région des jardins créoles. Il y a quelques dizaines d’années, ce quartier était occupé dans sa partie basse, par les grandes plantations de canne à sucre. On y trouvait la distillerie de Fonds Verville où on peut encore voir les ruines. Elle appartenait à Emile Yoyo et fonctionnait durant la Grande Guerre (1914-1918). Aujourd’hui c’est un quartier qui est divisé en petites propriétés.
Bezaudin aurait été d’après les anciens, un quartier refuge de nègres marrons. Les esclaves qui avaient rompu leur chaîne montaient se cacher dans les hauteurs. Bezaudin était à l’époque une forêt, un endroit idéal pour se cacher. Des mulâtres qui fuyaient la répression qui s’abattait sur eux à Saint Pierre, profitaient des hauteurs boisées pour se cacher et attaquer les habitations. On y aurait fait de la contrebande notamment de rhum (voleurs du Morne-Rouge, du Lorrain, de l’Ajoupa Bouillon) et on y débitait des animaux volés pour survivre. Les autorités ont organisé avec la maréchaussée, des battues sans grands résultats. Il faut dire que les forces de l’ordre s’y aventuraient rarement. Les révoltés étaient organisés et avait mis en place un service de garde (conque de lambi). On avait surnommé ce quartier que l’on craignait « La Croix Rouge ». C’était le quartier des plus grands majors de l’île. Les conflits entre voisins et familles se terminaient parfois de manière sanglante. Ce quartier était un peu indépendant. De nombreux samaritains le craignaient et ne s’y aventuraient pas. Des conflits souvent liés à des délimitations de terres engendrait des querelles.
Bezaudin était tout de même relié au reste du pays par un sentier pavé. Une route pavée appelée « Route des Saints Pères » traversait le quartier et arrivait au quartier Fonds Saint Jacques. Elle fut construite par les pères jésuites. Aujourd’hui le quartier est divisé en deux par le célèbre CD15.
La première école du quartier fut construite en 1927. Elle était située à Fonds Banane. En 1930, elle comptait trois classes, puis six en 1936 pour 336 élèves. Pauline Nogard y fut enseignante puis directrice de l’école de Bezaudin (entre 1926 et 1966). Elle mit en place un enseignement de travaux ménagers (cuisine, propreté, puériculture…)
vidéo inauguration du carrefour de Bezaudin
Depuis une autre école existe au même endroit. Une école maternelle fut ensuite construite au lieu dit, Trois Ilets. Elle porte le nom de Pauline Nogard. Cette grande dame a fait connaitre le quartier grâce à la création d’une unité artisanale qui produisait de la farine de manioc, des confitures, des sirops… à partir des produits du terroir. Toutes ces transformations étaient inventées par son père, M. Louis André qui fut reconnu et qui présenta ses inventions culinaires à l’exposition coloniale de 1931. Ses produits étaient commercialisés sous la marque ELLA.
La chapelle de Bezaudin fut construite grâce à l’abbé CUMIA entre 1940 et 1942, sur un terrain offert par Francilia CHEVIGNAC (dame DOMOISON) fille de Francis Chevignac. C’était un bâtiment recouvert de paille qui était monté directement sur la terre .Il était entouré de fibro ciment. On y trouvait quelques bancs à l’intérieur posés à même le sol. Quelques années plus tard l’abbé Cumia couvrait l’édifice en tôle. L’abbé MONERVILLE a amélioré l’édifice entre 1959 et 1960 en refaisant le dallage. Une mission religieuse a visité le quartier en 1950 et 1953. On y a célébré des mariages, communions, confirmations en série (Père PERRIN). La dernière rénovation fut celle de l’abbé N’Goma qui, grâce aux coups de main, changea la toiture et consolida l’intérieur (en dur). Il installa un autel, un tabernacle, des salles de catéchisme sur un bas côté et une salle de réunion.
Les anciens parlent de l’existence d’un lieu d’inhumation qui se trouvait du côté de l’école primaire avant Fonds banane.
Un espace de tradition et de culture
Haut lieu de la tradition, Bezaudin comme Pérou ou Morne Des Esses voyait ses fêtes entourées de mythes (baptême, première communion…) Le luxe était de rigueur même chez les plus pauvres. Les veillées mortuaires étaient animées par de célèbres conteurs avec leur « cric crac », les soirées « bèlè », les séanciers comme le célèbre Eugène Forville, ont fait l’originalité de cette région qui a beaucoup changé aujourd’hui.
Vidéo de Carmélite
Patrie du bèlè, Bezaudin comme le quartier Pérou est le berceau des traditions musicales et des danses du monde rural . On peut citer de grands noms comme Féfé Marolany dit Coco Ali (tambouyé), ti Emile Laposte (chanteur) , Génius Boniface (Galfétè) Dulthénor Casérus (Coky, lutteur de Damier), Félix Casérus , fils de Dulthénor Casérus (tambouyé et propriétaire de Pitt), Hyppolite Marie Sainte (joueur de Tambour Di Bass), Ménard Marie Sainte (joueur de flute et de siyac), Carmélite, les frères Grivalliers, les sœurs Persanie (danseuses)… Marie Sainte Hyppolite dirigeait un orchestre au sein duquel on trouvait comme instruments : Tambou di bass, siyac, ti bwa, flute en bambou, chacha parfois du bâton ronflé. Il animait les bals gran moun , les bals bouquets mais aussi les mariages, les baptêmes.
https://youtu.be/8boycObkShU
Féfé Marolany une légende du tambour
Les conteurs se retrouvaient le plus souvent dans des soirées à la Rue Derrière ou au Morne Macroix. On peut citer Vincent Chevignac, Amélius Constaté. Le pont Abel ou Fonds Banane était le lieu de rendez vous des majors et danseurs de Damyé.
Il y a quelques dizaines d’années, les fêtes du quartier étaient ponctuées par les courses de chevaux et de mulets. S’il faut retenir une image de Bezaudin c’est celle de la résistance et de la tradition du monde rural mais je dirais plus un lieu d’inspiration d’où sont issus de grands artistes martiniquais : Edouard GLISSANT, Henry GUEYDON, les GIBSON BROtHERS, le père de Victor LAZLO, Jean TERRINE… Ce quartier était fréquenté par les plus grands comme ANCA BERTRAND, DEDE SAINT PRIX, EUGENE MONA, les mouvements bèlè du pays, …
Luc Lerandy
vidéo Henri Gueydon, Sainte Marie
Lerandy Luc