Une étude de Sylvie Lerandy
Au moment où la distillerie Saint James célèbre le 36 ème anniversaire de la fête du rhum, découvrons grâce à Sylvie Lerandy, l’impact de la famille Huygues Despointes dans l’histoire de l’usine
A la Martinique, la structure de l’habitation est une organisation économique issue de l’héritage colonial. L’implantation de la canne à sucre, qui a suivi la prise de possession de la Martinique en tant que colonie en 1635 par Pierre Belain d’Esnambuc, a été un événement majeur qui a conditionné la suite de l’histoire de la Martinique en tant qu’île à sucre.
La Martinique dans sa période sucrière faste va voir fleurir dans son paysage de nombreuses usines à vapeur arrivées avec la révolution industrielle. Elles vont totalement modifier la méthode de fabrication du sucre à la Martinique. L’usine de Sainte-Marie va être mise en place dès 1872 et va s’intégrer dans le réseau d’usines sucrières de la Martinique. Durant tout le XXème siècle, l’usine va voir se succéder à sa tête les membres de la famille Huyghues-Despointes. Leur implantation n’est pas récente mais relève d’une longue histoire qui remonte au temps de la colonisation. Cette famille arrivée en Martinique dès le XVIIème siècle va marquer la société de son empreinte et contribuer de façon importante aux évolutions économique de l’Île puis des ses voisines. Les dirigeants de l’usine vont favoriser la création de voies de chemins de fer qui rayonnent autour d’elle tractant ainsi les productions de toutes les anciennes habitations. On assiste donc à une véritable mutation de l’espace due à la mutation industrielle
La Société Anonyme de l’Usine Sainte-Marie a été créée le 3 mars 1870 devant Maître Hue, notaire à Saint-Pierre. Les actions retrouvées appartenant à la famille Huyghues-Despointes datent du 12 mars 1903 et ont été signées par Roger Huyghues-Despointes en tant qu’administrateur.
C’est dans les années 1900 que la famille Huyghues-Despointes arrive à l’usine Sainte-Marie. A cette époque Roger Huyghues-Despointes, né en 1865, est devenu directeur de l’usine Sainte-Marie.
L’usine de Sainte- Marie se situe dans le bourg de cette commune du Nord Atlantique de la Martinique. Elle a commencé à fabriquer du sucre en 1872, et les Huyghues-Despointes n’arrivent à l’usine que 28 ans après le début de cette fabrication. C’est l’époque où toutes les grandes usines sont lancées par le groupe Five Lille-Caille, qui était fabriquant des machines sucrières, dirigé par le fameux Emile Bougenot, qui a construit pratiquement toutes les usines de la Martinique. Cette famille a commencé vers 1863, avec 1’usine du François et 1’usine du Lareinty au Lamentin.
Vers 1870, les propriétaires alentour ont arrêté de faire du sucre sur leurs propriétés pour envoyer leurs cannes à Sainte-Marie. Avant l’ouverture de ces centrales, chaque habitation faisait son sucre en petite industrie, il y en avait environ dix ou douze dans les alentours de Sainte-Marie. Ensuite il y a eu la création de l’usine centrale créée par le groupe Bougenot.
Le premier dirigeant Huyghues-Despointes fut Roger qui a deux fils : Raymond et Marcel.
Entre 1900 et 1912, l’usine est dirigée par Roger Huyghues-Despointes. Il meurt en 1912 à la suite d’un accident de chemin de fer en métropole. Amédée Huyghues-Despointes, son frère prend la gestion de Sainte-Marie. Amédée était alors administrateur de l’usine du François et de celle du Lareinty. Il décède très vite, en 1919. C’est alors Gaston qui prend la relève et gère l’usine depuis son habitation du Limbé.
Amédée Huyghues Despointes nait le 21 janvier 1863 au Robert et décède le 8 octobre 1919 à Fort de France. Il est le premier de la famille Huyghues Despointes à prendre une part importante à la vie de l’Usine de Sainte-Marie.
N’ayant pas d’héritage, il commença à travailler dès l’âge de 13 ans, comme économe sur une habitation de canne à sucre. Aîné de sa fratrie, il fut soutien de famille de ses parents et par la suite, au cours des longues années qui suivirent, il fit une brillante carrière professionnelle. Amédée a en effet participé à la révolution qui a eu lieu en Martinique à la fin du XIXème siècle, lorsqu’on est passé du système d’habitation à celui des usines à sucre.
Raymond est le fils de Roger, frère d’Amédée et a épousé Paule, la fille d’Amédée. Après la mort d’Amédée, l’usine va être gérée quelques années par Gaston mais très vite, c’est Raymond qui reprend le flambeau. Il naît en 1892 et meurt en 1952, il va avoir une carrière prospère à l’usine et va gérer des problèmes importants comme la grève générale ou la mise en place des voies de chemin de fer.
Marc Huyghues-Despointes, fils de Marcel le frère de Raymond reprend l’usine en 1952. Titulaire d’une licence de mathématiques, il avait déjà travaillé dans des industries du nord de la France. A la mort de Raymond Huyghues-Despointes la réputation de Sainte-Marie était bonne au niveau de la gestion mais comme tant d’autres usines à l’époque, elle était minée par l’endettement.
Après la révolution industrielle des années 1870 qui vit l’apparition des grandes usines centrales reliées aux champs de cannes par des voies ferrées, le début du XX -ème siècle est marqué par un lent déclin de l’économie sucrière et rhumière. Avec l’effondrement de l’économie sucrière, ce sont les fondements de l’économie coloniale qui se fragilisent…
L’usine de Sainte Marie va donc connaitre une mutation passant d’une économie sucrière à une économie rhumière. Dans le même temps, c’est l’ensemble de la Martinique qui va devoir effectuer une mutation de ses activités.
La canne à sucre a connu une crise profonde à partir de 1960 : en vingt ans, toutes les usines à sucre ont fermé, à l’exception de celle du Galion, qui continue à fabriquer du sucre pour la consommation locale et du rhum industriel principalement pour l’exportation.
Suite au déclin de l’économie sucrière à Sainte Marie, seul le rhum Saint James est encore fabriqué à l’usine. Les Huyghues Despointes ont choisi une reconversion vers une économie du secteur industriel.
LES HUYGHUES–DESPOINTES
Des Flandres à Sainte Marie : le parcours d’une famille créole de la Martinique
XVII ème s. L’IMPLANTATION
Jean HUYGHUES 16??-1673
Marchand protestant d’une famille originaire de Hollande, nait au Brésil, dans la partie hollandaise, puis s’établit à Tobago où il vécut avec sa femme, Marguerite DOENS, également d’une famille hollandaise, et ses deux fils. Il disparut lors d’une attaque anglaise sur Tobago en 1673.
En 1679, Marguerite DOENS, veuve HUYGHUES épouse à La Rochelle Jacques Mahault, marchand en cette ville et, accompagnée de ses deux fils, Hubert et Jean et de son deuxième mari, part pour la Martinique où la famille DOENS était établie depuis plusieurs années y jouissant d’une confortable situation. Le père de Marguerite, Jean DOENS, possédait des exploitations pour plusieurs centaines d’hectares et armait à la course un navire, le Saint Pierre.
C’est donc à Saint Pierre, en 1679 que s’établit la famille HUYGHUES, représentée par Marie DOENS et ses deux fils, Hubert, âgé de 10 ans et Jean, âgé de 9 ans.
Hubert HUYGHUES 1669-1712
Il se marie en 1693 avec Marie HENRY d’une famille amie bien établie à la Martinique, dont les membres étaient propriétaires d’habitations sucrerie et officiers de Milice. Ainsi assoit-il sa position dans la société créole au sein de la communauté protestante. La famille s’installe au Marin, dans la propriété du beau-père. Après dix années de résidence au Marin, Hubert HUYGHUES s’établit au François, quartier du Simon. Il sera lieutenant de cavalerie dans la milice de la Martinique. Il mourut en cette commune le 18 août 1712.
Hubert HUYGHUES et Marie HENRY eurent cinq enfants, dont Hubert jr, né en 1694.
XVIII éme s. LE DEVELOPPEMENT
Hubert HUYGHUES jr 1694-1755
Il se marie en secondes noces vers 1725 avec Anne Elisabeth RENAULT. Il vécut toute sa vie au Vauclin où il fut capitaine de cavalerie et y mourut en 1755 à l’âge de 72 ans.
Hubert HUYGHUES jr et A. E. RENAULT eurent au moins 13 enfants dont François, né en 1728.
François HUYGHUES 1728-1787
Il se marie en 1748 à sa cousine Marie –Françoise PORTHUAU DESGATIERES, importante famille de la Martinique. Ils se fixent au Robert sur une propriété de la belle-famille. En 1765 il fait l’acquisition d’une habitation sucrerie située au Robert au lieu-dit « Beauséjour ». Il fut nommé capitaine de cavalerie de la milice. Il meurt en 1787.
François HUYGHUES et M. F. PORTHUAU DESGATIERES eurent au moins 12 enfants dont François-Louis, né en 1757.
François Louis HUYGHUES-DESPOINTES 1757-1834
Il se marie en 1791 à Marie-Jeanne-Félicité BARBIER. Ils s’installent sur la propriété paternelle de Beauséjour, sur les hauteurs du Robert, au dessus de l’habitation Mansarde. François-Louis par plusieurs achats successifs de terres attenantes agrandira progressivement son domaine ; il vendra l’habitation Beauséjour en 1820. Il meurt en 1834.
Comme cela se faisait à l’époque afin de distinguer les différentes branches issues d’une famille, on ajoutait un nom au nom d’origine de la famille. Ainsi a-t-on eu plus tôt des HUYGHUES DELIVRY, HUYGHUES DES ETAGES, HUYGHUES LACOUR etc..
Pourquoi François-Louis ajoute-t-il DESPOINTES à son patronyme vers 1787 ? Ce n’est pas parce que sa propriété aurait contenu des terres « en pointes » avançant dans la mer, puisque Beauséjour se trouvait sur les hauteurs du Robert. C’est plutôt vraisemblablement parce qu’il avait la gérance de l’habitation d’un sieur FEBVRIER DESPOINTES sise au Vauclin.
Il fut nommé capitaine de milice au bataillon de Trinité. Il meurt au Robert en 1834.
François-Louis HUYGHUES-DESPOINTES et M.J.F. BARBIER eurent 10 enfants dont Georges né en 1809.
C’est donc vers 1787 qu’apparaît le nom de HUYGHUES-DESPOINTES décidé par François-Louis HUYGHUES.
XIX ème s. L’ESSOR SOCIAL
Georges HUYGHUES-DESPOINTES 1809-1859
Il se marie en 1830 à sa nièce, Louise-Emilie DEVILLE.
Il est d’abord géreur de deux habitations sucreries au Robert et possède une petite exploitation de 12 ha. Cet homme d’affaires ne se contentera pas de cette situation : en 1842 il fait l’acquisition de la moitié de l’habitation sucrerie l’Espérance au Lamentin qu’il revend 10 ans plus tard. Il achète alors le quart de l’importante (200 ha) habitation sucrerie La Mansarde au Robert, voisine de l’habitation familiale Beauséjour, propriété de son frère Nelson, puis en 1857 la totalité de l’habitation sucrerie Moulin à Vent qui jouxte l’Espérance. Ainsi les 3 propriétés des frères HUYGHUES-DESPOINTES forment un ensemble d’environ 500 ha sur les hauteurs du Robert. Georges se lance également dans la pêche en achetant les deux tiers d’un bateau de pêche de 32 tonneaux, « le Brillant ».
Georges connut parallèlement une belle réussite politique. Membre du Comité Agricole du Robert, il fut nommé en 1846 maire du Robert, fonction qu’il exerça jusqu’à sa mort en 1859. Il fut nommé entre temps Conseiller Général de la Martinique.
Georges HUYGHUES-DESPOINTES et Louise Emilie DEVILLE eurent au moins dix enfants, dont Léo né en 1835.
L’activité et la réussite de Georges marquent incontestablement l’essor de la famille HUYGHUES-DESPOINTES.
Léo HUYGHUES-DESPOINTES 1835-1877
Lors de son mariage avec Lydie MAILLET en 1856, Léo était déjà propriétaire indivis avec sa mère de l’habitation Pointe Royale également appelée La Reynoird, d’une superficie de 120 ha. il rachète dans les années qui suivent l’habitation familiale Beauséjour qui entre temps avait été vendue par Nelson.
Secrétaire de mairie du Robert, il mourut dans cette commune en 1877.
Léo HUYGHUES-DESPOINTES et Lydie MAILLET eurent 10 enfants, dont Georges né en 1857, Amédée né en 1863 et Roger, né en 1865.
Amédée HUYGHUES-DESPOINTES 1863-1919
Marié en 1899 à Irma AUBÉRY. Ils eurent 7 enfants, dont Paule, dite « Ti’ Co » née en 1901.
Il succéda à son frère Roger, décédé, comme directeur de l’Usine Sainte Marie en 1912 jusqu’en 1918 année de sa mort. Il fut remplacé comme directeur de l’usine Sainte Marie par son cousin Gaston (fils de Roger- 1874-1929).
XX ème s. L’APOGÉE ECONOMIQUE
Roger HUYGHUES-DESPOINTES
Marié en premières noces à Thérèse REZARD de WOUVES en 1889.
Administrateur- directeur de l’usine Sainte Marie de 1900 à 1912 .
Roger HUYGHUES-DESPOINTES et Thérèse REZARD de WOUVES eurent 4 enfants, dont Raymond en 1892 et Marcel en 1896. Il mourut à Saint Joseph en 1906.
Raymond HUYGHUES-DESPOINTES
Marié à sa cousine germaine, Paule HUYGHUES-DESPOINTES en 1919. Ils eurent 10 enfants.
Administrateur-directeur de l’Usine Sainte Marie de 1929 à 1952.
Il meurt en 1952 à Trinité.
Marc HUYGHUES-DESPOINTES
Fils de Marcel et neveu de Raymond. Né en 1922.
Administrateur-directeur de l’Usine Sainte Marie de 1952 à 1972, année de la cession de la société à Cointreau .
Il meurt en 1980.
Si la famille HUYGHUES-DESPOINTES s’est retirée de la production de sucre et de rhum, elle n’en a pas moins continué à dynamiser l’économie de la Martinique dans d’autres secteurs. Le groupe industriel créé par Alain HUYGHUES-DESPOINTES dans l’agro-alimentaire en est le meilleur exemple actuellement. Ses entreprises fabriquent en Martinique les produits aussi connus que Coca Cola, Orangina Miko, Yoplait,Caresse Antillaise, Royal, Bière Lorraine, etc.…
Sylvie LERANDY