Anciennement la rue Eugène Agricole portait le nom de Morne Avout.
On connait Eugène Agricole, ancien maire de Sainte Marie et président du Conseil Général mais d’où vient le nom de Morne Avout.
Très jeune le nom « Morne Avout » m’a toujours intrigué. J’ai à plusieurs reprises, interrogé les habitants du bourg et plus particulièrement ceux qui habitent cette rue que nous connaissons sous le nom de rue Eugène Agricole. J’ai toujours reçu la même réponse : cette rue en pente était un lieu où les propriétaires punissaient leurs esclaves rebelles. Pour les punir, ils les enfermaient dans un tonneau et les précipitaient du haut de la rue qui est en pente. La souffrance de ces condamnés était terrible. Mais à aucun moment je n’ai reçu d’explication du mot : Avout.
Pourquoi au cœur de la ville ? pourquoi pas sur les habitations ?
J’ai pensé que ces explications que je recevais étaient plus issus de la légende que d’une réalité. J’ai cherché des explications et pourtant….
Françoise Thésée dans un ouvrage intitulé : Le général Donzelot à la Martinique nous livre quelques pistes.
La première moitié du XVIIIème siècle est marquée à la Martinique ,par des mouvements de résistances et des révoltes d’esclaves et de mulâtres. On pourrait citer l’insurrection des esclaves au Carbet en 1822 ou l’affaire Bissette en 1823. Les esclaves utilisent les moyens dont ils disposaient pour affronter leur maître. Une vague d’empoisonnement d’animaux se répand dans les habitations. C’était une des armes individuelles utilisée par les esclaves pour se révolter contre leurs maîtres. Pierre Dessalles se plaint de la multiplication des cas d’empoisonnement sur ses terres de l’Union mais aussi sur celles de Mrs Reculée, et Levassor (Pain De sucre, Charpentier), de Mme Littée (Fonds Saint Jacques) comme sur les autres habitations. Bœufs, mulets, et parfois des hommes décédaient malgré les soins.
Pour impressionner les esclaves, les habitants supprimaient quelques avantages comme le tafia, les repos du samedi et du Dimanche. Désignés par les maîtres comme responsables de ces actes, les chefs d’ateliers comme les chefs muletiers, les cabrouettiers, les gardiens de savanes sont punis (fouettés). Après quelques jours d’accalmies, les empoisonnements reprennent. En quelques mois l’habitation Littée a perdu 46 animaux. Il ne reste qu’un bœuf chez Levassor. Mme levassor a effectivement perdu 19 bœufs et 9 mulets. Face à la pression des maîtres, des esclaves dénoncent. Les arrestations se multiplient. Les nègres arrêtés sont envoyés au tribunal. On soupçonne les mulâtres de complicité. Certains sont arrêtés et condamnés.
Certains médecins et intellectuels se sont intéressés à cette situation et doutaient ; Pour eux, cette vague d’empoisonnement n’était en fait qu’une épidémie qui touchait autant les hommes que les animaux. Ces épidémies se seraient répandues d’habitations en habitations. Aucune étude médicale sérieuse ne fut entreprise dans la colonie ou celles qui le furent ont été vite ignorées.. Il était plus facile d’incriminer les esclaves et de les rendre responsables de cette situation. Pour beaucoup, le nègre est synonyme de méchanceté et est capable de tout. Tous les maux de cette société esclavagiste venaient d’eux. On peut s’interroger sur la réalité de ces empoisonnements d’autant plus que le début du XIXème siècle fut marqué à la Martinique et singulièrement à Sainte Marie par une série d’épidémies.
Face à l’intensité de ces dits empoisonnements d’animaux, les esclavagistes s’affolaient devant l’étendue des dégâts de leur cheptel. Sous l’impulsion de colons comme Pierre Lassalle, le gouvernement royal décide de s’attaquer à ce phénomène.
Le général Donzelot qui avait été envoyé à la Martinique en 1818 par Louis XVIII pour mettre en place des réformes destinées à renforcer les liens avec la métropole, est chargé de mettre en place des moyens forts pour lutter contre cette situation dans les habitations. Il avait un doute au départ sur ces cas d’empoisonnement mais sous la pression des témoignages et des habitants, il s’est rallié à l’opinion coloniale du moment.
Par ordonnance royale du 12 Août 1822 un tribunal spécial est créé : la cour prévôtale de la Martinique pour juger les crimes d’empoisonnement. Le gouverneur se chargea de la mise en place de ce tribunal d’exception. La cour prévôtale est mise en place à Saint Pierre. Elle se déplaçait de paroisse en paroisse pour juger les esclaves accusés de crimes d’empoisonnement. Ce tribunal d’exception était présidé par un certain François Claude D’ Avout.
François Claude D’Avout est né le 4 Novembre 1769 à Annoux dans l’Yonne. C’était un officier de cavalerie, capitaine commandant le 1er escadron de la garde nationale active de la Martinique (les dragons de la Martinique) .Il devient président de la cour prévôtale de la Martinique, le 27 Août 1822, puis commissaire de police à Fort Royal. Le tribunal entre en fonction le 1er Septembre 1822 . Il était entièrement constitué de colons blancs.
D’Avout décide d’utiliser la méthode forte pour mettre fin à ces vagues d’empoisonnement. Ses méthodes n’avaient pas de limites. La répression est terrible. Victor Schoelcher lui-même considère que le bilan de la cour dépasse tout ce que l’on avait connu jusque-là. Schoelcher lui même avait baptisé le président de ce tribunal, « D’Avout coupe tète ». Pour Victor Schoelcher, le président du tribunal avait sombré dans la folie. Il existe d’ailleurs aux Archives Nationales D’Outre-Mer, une correspondance concernant les abus de pouvoir et les actes de cruauté de François Claude d’Avout contre les esclaves entre 1828 et 1831. En lisant les témoignages de Dessalles, on peut affirmer que Sainte Marie était particulièrement victime de ces vagues d’empoisonnement surtout sur l’habitation Nouvelle Cité et le répression fut terrible.
La première séance de la cour se tient au Lamentin le 29 Octobre 1822. 9 esclaves de l’habitation Belle Etoile appartenant à Mr Lassalle ont été jugé de crimes d’empoisonnement. Ils ont eu la tête tranchée sur la place du Calebassier au bourg du Lamentin.
Une séance s’est tenue le 30 Avril 1823 à Sainte Marie. Le tribunal était composé de François Claude d’Avout le président, de D’Amgledermes (lieutenant commissaire), Martineau Jean Baptiste, Seguin Lassalle, La Houssaye, De Cypre, Déprétit, et Blanc. 5 esclaves étaient jugés. 3 eurent la tête tranchée. 1 esclave fut fouetté et marqué des lettres GAL puis envoyé en France pour y servir le roi à perpétuité. Le cinquième fut emprisonné au Fort Royal
Les 11 et 16 Août 1824, la cour prévôtale tient deux séances à Sainte Marie. 14 nègres et un mulâtre sont jugés.8 sont condamnés à avoir la tête tranchée. 6 autres dont Rosco, le mulâtre, qui est boucher, sont condamnés aux galères et mis au service du roi.. Parmi les condamnés on trouvait deux femmes. Souvent elles étaient accusées de composer les poisons.
Les exécutions se déroulaient sur la place principale du bourg. Cette place se situait près de l’église non loin de cette descente qui porte aujourd’hui le nom d’Eugène Agricole. Cette rue avait pris le nom du responsable de ces massacres : Avout d’où le nom de Morne Avout. Les esclaves pour qui on n’avait aucune preuve d’un soi-disant empoisonnement recevaient une admonestation publique. Des esclaves étaient précipités du haut de ce petit morne, enfermés dans de tonneaux. Certains colons pensaient mettre fin à ces empoisonnements en commettant des actes barbares, cruels et spectaculaires pour terrifier les autres esclaves.
La cour prévôtale fut supprimée par ordonnance de gouverneur le 28 Février 1827 mais elle disparue vraiment après le décret du 16 Août 1854.