L’ouverture de l’habitation Lassalle devait être l’événement culturel majeur de la Martinique de ce début d’année 2020. Le Covid 19 en a décidé autrement.
Située sur les terres de Saint James à Sainte Marie, cette nouvelle structure enrichie le patrimoine historique, culturel et touristique de notre pays et plus singulièrement de Sainte Marie. Avec la vannerie du Morne Des Esses, l’Habitation Monastique de Fonds Saint Jacques, le temple indien, la Maison du Bèlè, le Musée du Rhum, le train des plantations, le four à chaux de l’Anse Azérot, le Musée de la Banane,… et maintenant l’Habitation Lassalle, Sainte Marie devient plus que jamais la gardienne du patrimoine historique, culturel, industriel et agricole de notre pays. De la vannerie au Musée de la Banane, Sainte Marie nous offre un tour complet de l’histoire de la Martinique : l’époque précolombienne, les premières habitations du XVIIème au XVIIIème, l’usine centrale au XIXème, l’héritage culturel de nos ancêtres avec le bèlè, l’arrivée des hindous dans la deuxième moitié du XIXème, la domination de la banane au XXème…
Que de richesses sur un si petit territoire !
l’habitation Lassalle est une ancienne sucrerie du XVIIème siècle. Après trois ans de recherche et de travaux, cette habitation est inaugurée le 25 Septembre 2019. L’ensemble restauré , s’étend sur une superficie d’un hectare. La sucrerie renaît avec ses différents moulins, ses roues à aube ou à eau, ses alambics, ses chaudières, ses chais, sa purgerie…
Avant d’être une sucrerie , l’habitation Lassalle était un grand village amérindien ou vivaient depuis le Vème siècle les kalinagos.
je vous propose une découverte en trois temps de cet espace agricole et industriel de Sainte Marie:
L’époque Amérindienne, la sucrerie Lassalle et enfin l’Usine de Sainte Marie avec la saga Despointes.
Aujourd’hui découvrons le peuplement amérindien avant la colonisation.
Un village Kalinagos
Les recherches archéologiques aux Petites Antilles nous permettent de découvrir quelques aspects de la culture des Kalinagos du Vème . Le nom Kallinagos désigne les habitants des Petites Antilles avant l’arrivée des colons européens.
La région du Nord Est de la Martinique semble être la plus anciennement occupée de la Martinique. On note la présence des amérindiens dès le Ier siècle. Des sites archéologiques ont été découverts à Sainte Marie par des passionnés comme le Père Labat, et cela, dès le début du XVIIIème siècle. Il a découvert sur l’îlet Sainte Marie des objets de l’époque Kalinas.
Vers les années 1935, des ouvriers qui creusaient une tranchée de chemin de fer sur l’habitation Lassalle découvrirent une tête de crapaud en terre cuite qu’ils vendirent à Mgr Bataille, Curé de Sainte Marie, qui l’offrit au musée de Fort de France.
Mgr Bataille était un passionné de civilisation amérindienne et a entrepris lui-même des fouilles. Il trouva d’ailleurs de nombreux vestiges dont un buste anthropomorphe et des pierres à trois pointes.
Plus tard en 1938 et 1940, deux campagnes de fouilles furent organisées par le révérend Père Delawarde puis Eugène Revert sur le site de Lassalle. En 1944 Eugène Revert transmettait au Musée de l’homme une importante collection de plus de mille objets, provenant des fouilles qu’il avait effectué sur le site de l’habitation Lassalle. La campagne de fouilles fut interrompue par la guerre. Vingt caisses de poteries et outils furent collectées. Pour Eugène Revert, il existait à Sainte Marie, un centre de culture amérindienne très important, qui était composé de plusieurs milliers d’individus. Il pense qu’il existait des ateliers de potiers spécialisés. Une question se pose sur l’existence, au milieu du gisement Lassalle, « d’une dépression quasi circulaire de 25 à 40 mètres de diamètre ». S’agirait-il de la place centrale d’un village ou simplement d’un moulin à bête
La campagne de fouilles de 1940 fut menée en quatre jours entre les 24 et 25 Janvier et le 6 et 10 Février. Elle était guidée par le docteur Rose Rosette et réalisée par Eugène Revert et une équipe de 12 ouvriers. Il reçut l’autorisation du directeur de l’usine, Mr Raymond Despointes et de Mr Lafosse. Il avait percé deux tranchées perpendiculaires poussées jusqu’au sol vierge. On fouilla jusqu’à une profondeur maximale d’un mètre cinquante. Plus de 5 kg de tessons et outils de pierre furent récoltées
Le gisement de l’habitation Lassalle s’étendait sur une superficie d’une vingtaine d’hectares. Une très petite partie fut explorée. Les fouilles se sont déroulées de la rivière Sainte Marie jusqu’à derrière l’église et vers le Nord de Lassalle. Il existait dans ce secteur une mare et la mangrove était très importante.
Plus tard, le père Pinchon entreprend des fouilles sur l’important site de Lassalle. Il mit à jour un vase à bord légèrement épaissi, sans oreilles ni décor, en relief, orné de peinture rouge et blanche avec des dessins complexes. On trouva une figurine de terre cuite au caractère très américain (yeux bridées, pommettes larges, nez aquilin, front presque inapparent). Cette pièce est exposée au musée du Trocadéro. Le site de Lassalle est considéré par le père Pinchon comme la capitale des Arawaks à la Martinique. Le site de Lassalle est très étendu et laisse penser qu’il existait des villages où vivaient plusieurs familles. Il aurait été peuplé dès 180 après JC. De nombreux objets amérindiens ont été trouvés sur le site de Lassalle derrière l’église
Les fouilles d’Eugène Revert
En 1944 le musée de l’Homme à Paris recevait la collection de plus d’un millier de pièces provenant de fouilles réalisées sur le site Lassalle en 1940. Ces objets avaient été récoltés par Eugène Revert et étudiés en partie par le Père Pinchon.
Les fouilles ont porté sur une superficie de 150 m2 et sur un mètre cinquante de profondeur. Cette collection est composée d’objets en pierre et en céramique.
On trouve une cinquantaine d’objets lithiques : Des percuteurs, des haches de différents types, …
Pour les objets en céramique, on utilisait l’argile qui dans la région est une terre rouge brique claire, un jaune ocre ou beige. On a ainsi retrouvé des plateaux à cassave, (de diamètre de 42,5 cm et de 1,5 cm d’épaisseur), un récipient qui s’apparente à un chaudron, des vasques, des pots, des coupes de dimensions variées, des vases. On a trouvé des vases originaux comme ce vase à forme longue et incurvée qui ressemble à un berceau.
Les couleurs utilisées étaient le rouge, le jaune, le jaune orangé, le blanc et le noir. Elles ont un caractère minéral. Le rouge de base était un rouge grenat et un rouge vif.
Les décorations de ces objets étaient des peintures, des gravures ou du modelage. Les gravures sont simples. Les lignes sont de différentes formes : de la simple ligne droite aux volutes. Le modelage est utilisé pour orner les anses. Les formes variées débouchent sur des tètes humaines simplifiées. On a trouvé aussi des têtes d’animaux comme les oiseaux, les grenouilles, les tortues, les lézards poissons, …
Quelles sont les raisons qui ont poussé les Amérindiens à s’établir dans la région ?
Les plages de débarquement sont rares, la mer est agitée, les fonds descendent vite, les coquillages sont rares à l’exception des burgauds sur les rochers à fleur d’eau.
Sainte Marie forme un vaste plan incliné dans lequel les rivières ont taillé de véritables vallées orientées Est/Ouest pour la plupart. Les dénivellations sont importantes ; on peut découvrir une petite plaine à l’Union face à la mer.
La commune dispose d’une importante façade maritime. Les plaines alluviales à bordure océaniques correspondent à des anses profondes (Anse Charpentier) ou les rouleaux viennent s’écraser sur les minces cordons de sable noir. Entre les anses, les échines se terminent par des falaises dont les sommets s’effritent plus ou moins rapidement.
On pense d’une part que les vents et courants ont poussés les kallinagos dans le secteur. Cette zone est volcanique et s’étend sur des plateaux qui dominent la mer par des falaises de quelques mètres d’où une position stratégique pour se défendre.
A l’origine, cette région était très boisée. La forêt humide était permanente. Etant donné que les premiers hommes arrivés dans l’île, en nombre relativement élevé, ne dépendaient que de la chasse et de la cueillette, cette zone paraissait privilégiée ; l’adaptation aux ressources de la mer se serait faite progressivement. Beaucoup de morceaux de poterie ont été trouvés sur les plages de Charpentier, Fonds Saint Jacques et de Sainte Marie : des tessons ainsi que des meules et des pilons étaient utilisés pour la fabrication de la cassave de manioc.
Entre Trinité et Marigot, les côtes sont basses, la mer est agitée, et seules quelques rares plages ont pu faciliter les débarquements notamment dans la baie de Sainte Marie.
Ces peuples ne connaissent pas la métallurgie et restent des maîtres potiers qui fabriquent des objets en céramique aux décors variés et incisés Ce sont aussi des vanniers, des pêcheurs et des chasseurs.
On a trouvé à Sainte Marie des vases, des adornos, des platines à manioc. Les kalinagos pratiquent la pêche (coquillages, lambis,) et se sont adaptés aux ressources de la région.
Le village de la Petite Rivière Salée était aussi très important. Il était situé sur un morne d’une vingtaine de mètres d’altitude que prolonge un plateau qui s’étendait sur plusieurs hectares. La Rivière Salée comme la Rivière Sainte Marie produisait l’eau potable et fournissait aussi les aliments (poissons…). Le père Labat a aussi découvert sur l’îlet Sainte Marie, un espace qui regorge de coquillages (burgauds, lambis…), des vestiges amérindiens.
Les kalinagos pratiquaient l’agriculture et nous ont laissé des plantes comme le manioc, la patate douce, les plantes médicinales. Avec le temps, les céramiques sont plus grossières. Les décors disparaissent de plus en plus sur les objets en poterie. L’habitat est de plus en plus permanent. Les Amérindiens se sédentarisent et s’installent dans les régions de mangroves et les baies peu profondes. On trouve leurs traces à Lassalle et à Fonds Saint Jacques. On y a repéré des tessons, des haches, des pierres taillées. Le travail de la terre s’effectuait collectivement. Chaque famille possédait un petit jardin et des animaux domestiques. Ils utilisaient la banane, le cacao à l’état sauvage et consommaient du cachiman, des pommes d’acajou, des goyaves, du piment, …
Ils se sont sédentarisés et vivaient dans des villages. Ils construisaient des cases ou carbets.
Les hommes pratiquaient la chasse, la pêche et l’artisanat pendant que les femmes cultivaient les jardins, tissaient le coton, fabriquaient des objets en vannerie ou avec des conques de lambis, des hamacs et préparaient les repas. Ils utilisaient des instruments comme les couis, les tables en bois, les chachas,
Aujourd’hui, ils nous ont légué le manioc et le procédé de fabrication de la farine et de la cassave, la vannerie, le cacao, les couis,…
Avec l’arrivée des colons dans la région en 1658, les kalinagos ont été chassé de la région. Ils se sont réfugiés dans le sud de l’île ou à la Dominique. Certains sont restés dans la colonie et se sont intégrés à la population. Les terres de ces amérindiens ont été distribué aux colons qui y ont établi des habitations.
LUC LERANDY
sources: La Martinique-Eugène Revert (Nouvelles Editions latines),Collections archéologiques martiniquaises du musée de l’homme (Raoul D’ Harcourt) ,Musée de rhum, archives départementales, musée d’archéologie de la Martinique