Symbole officiel de la ville, l’îlet Sainte-Marie et son tombolo comptent beaucoup pour les Samaritains. Si en France hexagonale, on s’enorgueillit du Mont Saint Michel , les Samaritains eux, sont fiers de leur tombolo.
L’îlet Sainte Marie a joué un rôle essentiel dans l’histoire de la ville. Deux exemples pour l’attester : le nom et la naissance de la ville.
Lorsqu’en 1658, les colons prirent possession de la région de la Cabesterre, après une rude bataille avec les Kalinagos( Caraïbes), les Français s’installèrent dans la région. Ils chantèrent le « te deum », érigèrent une croix sur l’îlet pour marquer leur emprise sur la région. De Loubières et ses hommes y construisirent un fort qui prit le nom de Fort Sainte Marie. Cet édifice était au départ, un magasin qui avait été démonté à Saint Pierre et qui avait été transporté en canot, pour servir de fort pour protéger la zone d’une éventuelle attaque des Anglais qui se disputaient les îles avec les Français. le monde de l’habitation se met en place.
Quelques années plus tard, des canons furent installés au sommet de l’îlet . Un corps de garde était chargé de surveiller la côte et les anglais, défendre la paroisse et aider les habitants à traverser la rivière Sainte Marie. Ce corps de garde était composé de colons blancs ; il était dominé par la famille De Mareuil. Nous observons que dès le départ, alors que la paroisse n’était pas encore formée, on assura très vite sa défense (français et anglais se battaient pour les iles). Le développement de la ville était aussi lié à la mer. L’intérieur des terres était encore vierge.
En 1696, lorsqu’il arrive sur les lieux, le père Labat s’intéresse au développement de l’habitation des moines dominicains de Fonds Saint Jacques. Nous apprenons à travers son œuvre « Nouveaux voyages aux îles d’Amérique », qu’il a découvert sur l’îlet des objets provenant des sociétés amérindiennes, ce qui ferait remonter l’histoire de l’îlet à l’époque kalinagos. Le père dominicain fit transporter par canot depuis l’îlet , du sable blanc pour la construction de la purgerie ainsi que des pierres de taille de couleur violette avec des points rouges et blancs. Elles servaient à la construction de l’embrasure des portes de la purgerie de Fonds Saint jacques. Près de 160 morceaux de pierres furent tirés de trois blocs qui se trouvaient sur l’îlet.Le 27 Août 1839, le conseil privé de la Martinique autorisa le sieur Matignon à établir une baraque sur l’îlet. En 1841, des travaux furent exécutés au corps de garde de l’îlet.
L’ilet fut aménagé, fortifié, protégé
Dès la fin du XIXème siècle, un embarcadère fut construit entre l’îlet et la terre au niveau du tombolo. On pouvait acheminer depuis l’îlet des marchandises pour charger les bateaux. L’îlet devient ainsi un petit port de commerce aux service des habitations sucrières et plus particulièrement au service de l’usine centrale de Sainte Marie .
Sur l’îlet et au bord de mer, on construisit des dépôts pour stocker les barriques de sucre. On entreposait des marchandises en provenance de Saint Pierre pour les premières habitations dans des magasins. L’îlet et ses premières installations servirent de port pour les échanges entre l’usine de Sainte Marie et le reste de la colonie . Le réseau routier n’existait pas. L’îlet était au cœur de l’apparition de la ville et au centre du développement du bourg et des habitations
En 1871, une enquête commodo-incommodo est réalisée en vue de la construction d’une voie de chemin de fer en direction de l’îlet alors que l’usine de Sainte Marie était en construction. Plus tard, une voie de chemin de fer traversait le boulevard Désir Jox pour se diriger vers un hangar qui se trouvait face à l’îlet. Ce dépôt appartenait à l’usine. On y trouvait du matériel pour les goélettes. Ce hangar recueillait aussi les barriques de sucre qui étaient acheminées sur l’îlet à partir d’un truck ou de canots. Chaque canot pouvait transporter quatre boucauts de sucre. Les boucauts furent remplacés plus tard par de gros sacs. On trouvait aussi sur la plage une grue qui aidait au chargement du sucre ; Les canots étaient reliés à un câble fixé à l’ îlet .
De l’îlet, on recevait des marchandises pour les habitations, en particulier du charbon, de la chaux et du souffre Le truck qui permettait l’acheminement des marchandises au port, était poussé par deux hommes ou tiré par un mulet qui se retrouvait souvent en contre bas dans l’eau (la largeur de la voie était très étroite ). Les boucauts de sucre étaient ensuite chargés dans des goélettes qui pouvaient recevoir 20 à 30 tonnes de sucre par bateau. On se souvient au bord de mer du nom de quelques-unes de ces goélettes : Ville de Paris, Jean Jaurès, Clémenceau, Sainte Marie ou Amédée Knight. Quatre marins travaillaient avec le capitaine dans chacune des pirogues. Au dernier moment on a aussi utilisé des barges pour le transport du sucre jusqu’à la Trinité.
Les navires rejoignaient Trinité à la voile. La cargaison était transbordée dans des cargos à l’embarcadère de Cosmy à Trinité. Dulan Laventure ,l’usine, la ville,…possédaient des goélettes et ils assuraient le transport du sucre de Sainte Marie à Trinité. L’un de ses bateaux portait le nom de « La Samaritaine ». Dulan Laventure était l’un des fondateurs de la Samaritaine. Sa goélette pouvait transporter jusqu’à 50 tonnes de marchandises. L’Usine de Sainte Marie possédait en 1937 trois pirogues : Amédée Knight, ville de Paris, Sainte Marie. Elle possédait aussi un remorqueur ou une barge.
La construction du quai de Cosmy financée par l’usine et la famille Despointes a couté 169.981,02 frcs
Sept personnes travaillaient sur l’îlet au milieu du vingtième siècle. Un boy ravitaillait les hommes en eau fraîche.
L’activité portuaire et économique a animé le bord de mer jusqu’en 1936. Certaines goélettes se rendaient directement à Saint Pierre. Le circuit du train fut allongé jusqu’au port de Cosmy à Trinité mettant ainsi fin à l’exploitation économique de l’ilet .
Félix Despointes fut le dernier responsable des transports pour l’usine. Le débarcadère était souvent attaqué par les raz de marée et le coût de l’entretien et des réparations était élevé. La voie ferrée fut ainsi prolongée jusqu’ à Cosmy à Trinité. C’est ainsi que le transport depuis l’îlet s’arrêta en 1936.
L’îlet était aussi un lieu de production agricole puisque on y trouvait une petite plantation de canne à sucre qui appartenait à Montbrun Darius.
L’îlet devient ainsi un lieu de protection du bourg. Il empêche la houle d’envahir le bourg en période cyclonique, ce qui n’empêcha pas quelques accidents : le raz de marée qui a envahi le bourg le dimanche 3 janvier 1965 est encore présent dans les esprits. Ce jour-là, une cinquantaine de cocotiers furent renversés, le hangar municipal fut emporté. Les différents cyclones ont provoqué de gros dégâts sur le boulevard notamment le cyclone Dorothy .
L’îlet fut aussi le théâtre de drames : des noyades dont la plus connue est celle du 3 mars 1950 de Félix Lorne et de son élève (voir article sur Félix Lorne).
Des désespérés s’y sont suicidés (le dernier fut un certain Chéneaux).
Durant ces dernières années, l’îlet a fait, de manière épisodique, l’objet de quelques initiatives :
Transformé au départ en lieu d’élevage sauvage de cochons et de cabris, il est maintenant protégé. l’élevage d’animaux y est interdit depuis les années 1980. l’ONF amène aussi régulièrement des campagnes de dératisation pour protéger les oiseaux en période de nidification .
Sa croix fut changée en 1949. Elle disparaît en 1980 suite au passage du cyclone David. Mais en 1992 grâce à l’initiative des jeunes de l’association sportive et culturelle de Villeneuve et avec l’aide de l’hélicoptère de l’armée une nouvelle croix fut installée sur un socle rénovée. La croix a une hauteur de 5 mètres pour un poids de 400 kg.
Notre îlet et son tombolo restent aujourd’hui une curiosité touristique qui a fait l’objet d’un aménagement de l’ONF et qui attirent chaque année des milliers de visiteurs. L’ilet est protégé par un arrêté préfectoral de protection du biotope datant du 28 Mars 2013
. Des travaux ont été mené de Mars 2011 à octobre 2012. des travaux de revégétalisation de l’ilet ont été réalisés. Pour la protection de l’ilet et pour contenir l’érosion, des gabions de terre destinés à retenir le sol et consolider les talus ont été installés. Près de 1500 espèces d’essences variées sont plantées: Poiriers, raisiniers bord de mer, patates bord de mer, mancenilliers, gommiers rouges,…
Pour circuler sur la face ouest de l’ilet, un platelage en bois de 200 mètres est mis en place .125 mètres d’escaliers permettent d’accéder au sommet des deux ilets. des bancs, un point d’observation, une zone de protection de la zone de nidification des sternes de Dougall (oiseaux migrateurs ), des rails en bois, une table d’orientation, un parcours d’interprétation » Manman d’lo et les secrets du Tombolo », font parties de l’aménagement de l’ilet. Un ponton de 31 mètres permet aux quelques pécheurs d’accoster leur embarcation. il sert aussi de dépôt pour leur filet.
.
Témoignages: Emile Darien, docker à 14 ans
C’est à l’âge de 14 ans qu’Emile Darien commençait à travailler sur l’îlet de Sainte Marie. Nous sommes en 1929 et Emile était chargé de conduire les mulets qui tiraient les trucks ou triques, ces wagonnets qui étaient chargés de boucauts de sucre et qui acheminaient cette production de la locomotive à l ’îlet de Sainte Marie. Plus tard, il travaillait sur l ’îlet au chargement et déchargement des bateaux.
« On chargeait les pirogues avec un palan, raconte Emile. Elles prenaient chacune deux à trois cents sacs de 100 kgs. Les pirogues s’appelaient « Ville de Paris », « Jean Jaurès », « Clémenceau », et « Amédée Knight ». Il y avait quatre hommes à bord, plus le patron. On mettait la voile et elles partaient pour Trinité. Là-bas, le chargement était transbordé sur un cargo mouillé dans la baie. Un cargo attendait pour partir à Fort de France. »
Plus tard Emile naviguait dans les pirogues. Il continue :
« Dans la baie de Sainte Marie mouillait aussi un bateau qui portait le nom de « La Samaritaine » :
Il prenait quatre cents à cinq cents sacs. On le chargeait en canot. Chaque canot emportait une palanquée ; chaque palanquée valait dix sacs. Six personnes travaillaient sur l’embarcadère, en plus du patron et d’un jeune employé qui ravitaillait les hommes en eau. Quand l’usine ne tournait pas, le charroi continuait dans le sens inverse. On débarquait alors sur l’îlet le charbon de terre, l’engrais, la chaux et le soufre. Le travail débutait à 7 heures du matin et s’achevait à 6 heures du soir, quand la mer était belle. Je pouvais partir en renfort à l’usine sinon je partais à la pêche.
Je gagnais 9 francs et 4 sous par jour ».
Entretien avec Emile Darien le samedi 25 Avril 1992
Lerandy Luc