Date du jour :30/12/2024

Le réseau de chemin de fer de Sainte Marie et de Fonds Saint Jacques

Dès la mise en place de l’usine centrale de Sainte Marie en 1872, on envisagea  tout de suite, la construction d’une voie ferrée, afin d’assurer le transport de la canne à sucre d’une quinzaine d’habitations vers l’unité de transformation (l’usine), puis vers le port d’embarquement qui avait été construit sur l ’îlet de Sainte Marie.

la dernière locomotive de l’ usine de Sainte marie « La Trinité » est arrivée en 1925.       Collection Pereve

Durant environ un siècle, locomotives à vapeur, locotracteurs diesel, ont beaucoup compté dans la vie agricole et industrielle de notre pays. Les chemins de fer à voie étroite ont commencé à parcourir les plantations,  depuis la livraison de canne à sucre par «la Perle », première locomotive à vapeur à transporter la canne à l’usine  Dillon à partir de 1870 , jusqu’à  « La Trinité » dernière locomotive à vapeur encore visible de l’ usine de Sainte Marie. Le rail a fait partie du quotidien des martiniquais

La deuxième moitié du XIX° siècle est  marquée dans les colonies par la fin de l’habitation sucrerie. L’usine centrale à vapeur devient l’unité de production de base.  On assiste à une véritable révolution dans la production du sucre de canne.  L’habitation devient  essentiellement une unité agricole à part qui produit la canne à sucre alors que l’usine centrale est chargée de la récupération de la production et de la transformation de la canne en sucre. Avec la révolution industrielle en Europe et dans le monde, on est à l’heure de la concentration de la production, à la recherche de la rentabilité. Les usines centrales et les locomotives à vapeur sont une réponse à ce  nouveau défi.

En 1871, une enquête commodo incommodo fut réalisée à Sainte Marie en vue de la construction d’une voie de chemin de fer. Le réseau desservait les habitations de toute la région : les habitations « Union », « Limbe », « Nouvelle Cité », « Concorde » puis « Petite Rivière Salée » et « Fonds Saint Jacques ». Le réseau avait une longueur de 11 kms en 1920 puis 22, 5 kms. Ce réseau avait un écartement de 1170 cm comme celui de Fonds Saint Jacques qui avait une longueur de 6,5 kms. Effectivement en 1905, l’ usine centrale de Fonds Saint Jacques était affermée à Henry Simonet ; L’ usine de Fonds Saint Jacques possédait une locomotive de 10 tonnes et 72 wagons en bois. Les activités de l’usine de fonds Saint Jacques et sa ligne s’arrêtèrent en 1934 après la liquidation et le morcellement de l’ancienne habitation monastique de Fonds Saint Jacques .

En 1874, l’usine de Sainte Marie obtient l’autorisation d’utiliser une locomotive à vapeur pour tracter ses wagons. L’usine a possédé jusqu’à  5 locomotives à vapeur et 4 locotracteurs diesel. Les locomotives à vapeur furent livrées entre 1873 et 1925 (48 ans)  . La première (N° 186) fut livrée le 24 Novembre 1873 .C’était un modèle de 5 tonnes ; une deuxième machine (n°736)  fut livrée le 14 Octobre 1898 (7 tonnes) ; La troisième machine (N 1061) est arrivée le 16 Septembre 1903 (7,5 tonnes),la quatrième(n°1626)  Le 17 janvier 1923 (10 tonnes) et la dernière(n°1701) fut livrée Le 31 décembre 1925 et porte le nom de TRINITÉ ;c’est une machine de 10,820 tonnes de type 030 T à l’écartement de 1170 et qui est aujourd’hui exposée  au musée Saint James à Sainte Marie. C’est une locomotive Tender à trois essieux couplés; la capacité de ses caisses à eau était de 1550 litres; sa soute à charbon avait un volume de 600 Kgs, ce qui lui conférait une autonomie importante; Elle était en outre équipée d’une pompe d’alimentation qui lui assurait une plus grande souplesse d’utilisation. Elle circulait sur le réseau jusque vers les années 1970. Relativement puissante, cette machine pouvait tirer un train de 20 wagons chargés de 10 tonnes de canne chacun.

Dès 1880, une voie ferrée traversait le boulevard Désir Jox, après avoir franchi le pont de Sainte Marie.

L’usine possédait aussi quatre locotracteurs diesel : 1 Whitcomb, 1 Brookville et 2 Davenport En 1944, l’usine fait l’acquisition d’une locomotive appelée « Délivrance » et en provenance de l’usine du Vauclin qui avait le même écartement de voie de 1170 cm.

Le travail était organisé en quart (6h-14h /14h-22h/22-6h). Munis de lanterne Les trains circulaient la nuit.

Le travail commençait tôt  le matin entre à l’ usine de Sainte Marie, 6 et 7 heures . Dans un premier temps, les ouvriers chargeaient le matériel (outils de dépannage, pelles,….)  et remplissaient les réservoirs d’eau puis le train se dirigeait vers la gare de l’usine pour récupérer les wagons qui seront répartis dans les différentes gares à canne des habitations ; souvent on trouvait plusieurs habitations sur la même ligne. Les wagons seront chargés dans la matinée par les travailleurs d’habitations. La canne qui venait des régions escarpées était transportée jusqu’à la gare par des mulets ou des cabourets.

Le travail lié à l’exploitation des chemins de fer a fait appel à un personnel bien spécifique. Plusieurs personnes étaient affectées à des taches diverses:

Le personnage le plus important restait le conducteur du train qu’on appelait le machiniste; IL contrôlait toutes les manœuvres: du départ du train de l’usine à la livraison de la production. Il dirigeait un petit personnel et restait un personnage respecté dans l’usine; cette tâche noble était affectée au départ à des mulâtres .A chaque conducteur était attribuée une machine. Il existait un véritable rapport affectif entre le conducteur et son train.  Le machiniste était aidé dans sa tache par  un ou deux aiguillettes ; ces employés étaient chargés de l’accrochage des wagons, de la manipulation des aiguilles, du sablage des rails dans les passages difficiles et aussi de la surveillance des wagons, cible des amateurs de bonnes cannes. A certains passages, l’employé appelé sableur semait du sable ou de la cendre de bagasse sur les rails pour empêcher au train de patiner ou glisser.

Avant la récolte une ou plusieurs équipes s’occupaient de l’entretien, la réparation ou l’extension de la voie. Chaque matin selon les besoins, une équipe se rendait sur une portion de voie pour des réparations rapides, le plus souvent avec le train, qui transportait le matériel et les ouvriers. Généralement le train disposait les wagons dans les gares la veille ou très tôt le matin.

Une fois chargés, les wagons étaient récupérés pour être acheminés vers l’usine ou  iIs étaient déchargés.

les wagons étaient numérotés pour reconnaitre la provenance de la récolte; Les numéros étaient inscrits dans un cercle blanc pour être vu de jour comme de nuit. La canne était acheminée par des muletiers.

Les Cannes étaient assemblées dans chaque wagon par paquet de 10 bouts  de 1 mètre environ. Chaque travailleur devait fournir une quantité précise de canne par jour.

Les mulets ou les cabourets amenaient les paquets de canne dans les gares. Sur place le muletier lançait chaque paquet à l’arrimeur qui de son wagon rangeait de manière ordonnée la canne. Chaque wagon pouvait transporter entre 6 et 7 tonnes de canne. On avait intérêt à remplir le wagon.  Le prix de la récolte était évalué au poids.

Après avoir récupéré sa production de sucre à l’ usine, la locomotive s’arrêtait face à l’îlet de Sainte Marie devant un hangar où elle déchargeait sa cargaison de boucauts de sucre. Ses boucauts étaient acheminés sur l’ilet à partir d’un lorry ou truck. Il circulait sur un débarcadère qui avait été construit sur le tombolo et qui reliait l’îlet à la terre. Le truck était tiré par des hommes, parfois des mulets qui malheureusement se retrouvaient souvent à la mer. Ces scènes coquasses égaillaient les habitants du bord de mer. Des pirogues acheminaient la marchandise vers le port de Trinité. Elles débarquaient aussi des marchandises pour les habitations .

On trouvait sur l’îlet une grue qui chargeait les boucauts de sucre sur les bateaux ou sur une barge . Chaque bateau pouvait charger 200 à 300 sacs de 100 kgs de sucre. On retient quelques noms de ces pirogues: « Ville de Paris », « Jean Jaurès », « Clémenceau » ou « Amédée Knight ». Il y avait quatre hommes à bord avec le capitaine; les pirogues rejoignaient Trinité à la voile. Le chargement était transbordé dans un cargo qui mouillait à Cosmy. Un des ces bateaux portait le nom de « La samaritaine ».Il prenait 400 à 500 sacs

Parfois la marchandise était acheminée depuis la plage par canot, à raison des quatre boucauts par canot.  Le dernier responsable des transports de l’usine s’appelait Rodolphe Richer; les bateaux appartenaient à Dulan Laventure propriétaire terrien à L’anse Azérot .L’usine avait fait construire un dépôt sur le boulevard à l’emplacement actuel du marché aux poissons; On y stockait le matériel des bateaux qui venaient récupérer le sucre sur l’îlet. 6 personnes travaillaient sur l’embarcadère (on trouvait un responsable et un jeune qui ravitaillait les hommes en eau fraiche)  .On y trouvait aussi un poste de garde .Les pirogues en provenance de Trinité déchargeaient sur l’îlet du charbon de terre pour les locomotives, de l’engrais, de la chaux, du souffre,…pour les habitations

Le travail débutait sur l’ilet le matin à 7 heures pour s’achever à 18 heures.

Les activités de transport cessèrent vers 1936, puisque la voie ferrée fut reliée directement à Cosmy à Trinité.

Beaucoup se souviennent des derniers conducteurs de trains; Chabal Séjourné, Cincinnatus  Néré, Eugène Lacordelle ou « Missié Manbè »

Miguel Duplan,  petit fils de Monsieur Manbert,  lui a consacré un roman intitulé  « L’ acier » et a obtenu le prix Carbet en 2007. il raconte l’ histoire d’ un homme qu’ il appelle l’ acier et qui est le nom de son grand père qui était machiniste à l’usine de sainte marie . Il effectuait la ligne Sainte Marie/Cosmy. On le craignait pour sa rudesse .

    Missié  Manbé : conducteur  de train

Missié Manbè reste un personnage connu à Sainte Marie; Craint par les habitants, pour sa rudesse et ses facéties .Il a laissé de tristes souvenirs aux amateurs de canne à sucre.

Son petit fils, Miguel Duplan, auteur du l’ouvrage intitulé « L’acier » lui a consacré son premier roman, ce qui lui a valu le prix Carbet 2007;

L’Acier, c’est son grand père, ce machiniste de l’usine de Sainte Marie qui transportait la canne des plantations de Sainte Marie à Cosmy à Trinité.

« Il disait, un peu avant sa mort, à tous ceux qui lui accordaient encore de l’importance, il disait que le chemin de fer lui avait donné des merveilles dans la tète. Il se rappelait le pont suspendu qui était comme une image pieuse, un sommet pour regarder ce monde-là. Et qui était aussi une palpitation: respirer ce bout de terre déchiqueté qui avançait fièrement à la rencontre de la mer souvent grise »

« Le chemin de fer contourne le Gros Bourg, il monte doucement de l’usine vers Belle Etoile.  S’entrelace à travers champs au gré des mornes, traverse un pont suspendu, longe le littoral, pour enfin s’arrêter aux quais de la sous –préfecture, les wagons gorgés de sacs de sucre prêts à être embarqués pour l’En-Ville »

Le quartier Reculée a donné naissance à un conducteur de locomotive : Cincinnatus Néré surnommé « Papa Yéyé » qui, avec sa femme travaillaient à l’usine dans les rails. Il a conduit le dernier train qui assurait la liaison entre l’usine de sainte Marie et le port de Cosmy à trinité. Sa femme assurait le repas du personnel affecté au chemin de fer.

vidéo, le train des plantations de J.Mathou

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Ancien professeur d’histoire et de géographie, il a participé régulièrement à la vie culturelle de sa ville. Animateur, membre d’associations, il est aussi un passionné d’histoire. il s'intéresse plus particulièrement à l'histoire de Sainte Marie et à celle des trains des Plantations à la Martinique.